Les gradés…

Journée du 6 juin 1916, bataille du fort de Vaux. Témoignage du commandant P… :

" Le général Nivelle décide, à 10 heures, la formation d'une brigade de marche (2e zouaves et régiment colonial du Maroc) dont la mission sera de reconquérir entièrement le fort de Vaux par une attaque fixée au 8 juin 1916, à 4 h 30.
L'histoire de la formation de cette brigade mérite d'être relatée en détail, non à cause de son importance propre, mais à cause de la connaissance qu'elle donne de la mentalité d'un chef qui s'est cru et à qui l'on a voulu faire croire qu'il était un grand chef.
Le général avait exposé son idée de secourir à tout prix le fort de Vaux à son chef d'état-major sous prétexte que "l'honneur était engagé". Celui-ci avait fortement cherché à dissuader le général, mais sans succès et le général décida de se rendre à R., sur la rive gauche, en y convoquant tous les chefs de groupement et de division. Le chef d'état-major, désireux de tout tenter pour arrêter le général me désigna, pour l'accompagner (j'avais déjà commandé au front un bataillon d'infanterie et un bataillon de chasseurs, et je possédais la pleine confiance du général comme fantassin) en me priant de faire tout ce qu'il serait possible pour amener le général à renoncer à cette fantaisie. "Du reste, ajoutait-il, le général vous mettra lui-même au courant pendant le trajet…"
En voiture, voyant que le général ne disait rien, je lui demandais : -Mon général, le chef d'état-major m'a prié de vous rappeler que vous deviez au cours de la route me mettre au courant de vos intentions.
- Ah ! oui, répondit le général, mais je n'ai pas encore pris de décision. Le chef d'état-major avait pensé qu'on pourrait former une brigade de marche en prélevant des troupes sur la rive gauche, et la transporter sur la rive droite pour reprendre le fort de Vaux la nuit prochaine.
- Mais, mon général, m'écriais-je, c'est insensé ! Comment une pareille idée a-t-elle pu venir à un homme comme votre chef d'état-major ? Ce n'est pas possible. C'est là, au point de vue fantassin, une de ces erreurs qui coûtent cher, et sans jamais avoir de résultats. Comment peut-on espérer obtenir d'une brigade de marche, composée de régiments ou de bataillons venus de partout, sous la conduite d'un chef inconnu d'eux, sans la moindre cohésion, dans un secteur qui ne représente qu'un chaos lunaire et tout à fait nouveau pour eux, avec les marmitages que vous connaissez, ce qu'une division fraîche, bien encadrée, avec toute son artillerie, n'a pu réussir il y a quelques jours ?
- L'honneur militaire exige que l'on fasse quelque chose.
- Oui, mon général, si quelque chose est possible, mais pas si ce quelque chose n'a comme effet que la destruction de nouvelles unités, sans résultat. Le fort me paraît à bout de forces. J'ai vu hier l'aspirant Buffet au moment où il arrivait du fort, et je sais par lui que la situation dans le fort semble assez trouble. Je connais Raynal, il est énergique, il fera tout ce qu'il pourra, et vraiment qui oserait dire que l'honneur n'est pas satisfait ?
Le général se tut ; et le silence dure jusqu'à R.
A R. une vingtaine de généraux attendaient.
Ce fut une stupeur quand le général Nivelle eût exposé son projet, qui était bien le sien, bien qu'il eût semblé vouloir en donner la paternité à son chef d'état-major.
Le général N… protesta hautement. Le général de M… ancien commandant d'une Armée, qui avait accepté ensuite le commandement d'un Corps d'Armée venu du Midi, exposa au général Nivelle, que bien entendu, l'ordre serait exécuté s'il était donné, mais qu'il estimait ce projet voué d'avance à l'insuccès, que vraiment une formation de marche, aussi hétérogène que celle que l'on pourrait former dans un secteur où n'existaient plus de réserves, n'avait pas la moindre chance de réussite, que les pertes seraient élevées et qu'on pouvait se demander si la reconquête du fort valait un tel sacrifice.
Le général Nivelle maintint son point du vue, et demanda à chacun des chefs présents de mettre à sa disposition ses unités disponibles. Il fut convenu enfin que le général Savy, désigné pour prendre le commandement de la brigade de marche, aurait sous ses ordres le régiment colonial du Maroc et un régiment mixte venu d'une autre division. Les troupes étaient en 2e ligne et devaient entrer en 1er ligne dans la nuit suivante (du 6 au 7). On les ferait redescendre, transporter par camions, et elles monteraient (dans la nuit du 7 au 8) dans le secteur de Souville-Tavannes pour attaquer le 8 au matin soit 2 jours successifs passés en camion et 3 nuits à monter en secteur où à redescendre. C'est ce qu'on appelait des troupes "fraîches".
Le général Nivelle me dit : "Maintenant que tout est d'accord, écrivez l'ordre, je signerai votre original."
Je m'inclinais et fit l'ordre que le général signa aussitôt et qui fut remis immédiatement au général commandant le groupement.
Le général de M…, qui m'avait eu comme élève à l'Ecole de guerre, se rapprocha de moi et me dit : "Mon pauvre P…, quel métier on vous fait faire ! Mais vous ne pouviez pas ne pas obéir. "
Si j'ai relaté ces faits, c'est que pour moi ils sont infiniment précieux pour déceler le caractère d'un homme. Le général Nivelle, venu de l'Afrique, n'était en rien préparé au rôle qu'il eut à jouer. Très brillant soldat, celui de Quennevières, il ignorait tout de la conduite des Armées. L'immense confiance en soi, l'entêtement orgueilleux, le goût de la flatterie, une vanité enfantine qui se gonflait du moindre éloge, venant de n'importe qui, tout cela s'est développé, amplifié à Souilly dans d'immenses proportions et appelait une catastrophe.
On comprend mieux les événements d'avril 1917 (remplacement de Nivelle par Pétain) à la lumière de petits incidents comme celui que je viens de raconter. "

Journée du 25 février 1916, le commandement de la région de Verdun est confiée au général Pétain. Témoignage du commandant P. :

" Il est sans doute superflu de redire que la nomination de Pétain le 25 février au soir au commandement de l'armée de Verdun avait été bien accueillie de la troupe. Tout nouveau chef reçoit toujours de la troupe un sympathique accueil : les journaux se chargent de la publicité nécessaire.
Cependant, en ce qui concerne Pétain, le bon accueil s'appuyait sur deux raisons qui ne devaient rien au Bureau de Presse officiel. En premier lieu, on l'estimait pour son avancement foudroyant, mais tardif : le soldat, dont chaque seconde de vie est une injustice, réelle on imaginée, a pour la justice un amour qui touche à la passion. En second lieu, on l'aimait pour son humanité, encore qu'il manquât à cette humanité un peu de la spontanéité qui peut seule la rendre irrésistible.

La popularité de Pétain, bien supérieure à celle de Joffre, bien inférieure à celle de Foch, ne fut jamais aussi forte qu'on a essayé de le faire croire, aussi forte qu'elle l'eut été quelques mois plus tard si on l'avait laissé à son P.C. de Souilly. Pétain a été contraint, par des événements inouïs, d'imposer à ses hommes des sacrifices inouïs, et quand il les a quittés, le 1er mai, l'Allemand n'avait pas cessé un seul jour de grignoter notre terre de Verdun. Comment exiger d'eux des larmes ?
Les soldats n'aiment vraiment, au sens absolu du mot, que deux sortes de chefs : ceux qui les mènent à la victoire et ceux qui risquent leur vie à leurs côtés.

On comprend très bien les jugements très divers portés sur le général Pétain suivant que l'on a approché plus ou moins près cet homme d'un froid et d'un calme déconcertants, que l'on a vécu ou non près de lui, et pu surprendre les indices d'une sensibilité profonde.
Le général est un grand timide, il le sait et il en souffre. Pour éviter l'emprise des autres et protéger sa personnalité, il s'est créé une façade, une cuirasse de glace, et il attaque. Sa parole mordante, quelquefois brutale ou cruelle, arrête son interlocuteur, le rend timide, lui aussi, et le général se trouve à égalité. Cependant, si l'on a la bonne fortune de vivre dans son sillage, de le voir dans les multiples incidents de la vie journalière, la façade se lézarde, et laisse apercevoir un cœur profondément humain, une sensibilité touchante. Mais combien peu nombreux ceux qui ont pu apercevoir ces éclairs ? Il en imposait au soldat par sa majesté et aussi parce que celui-ci savait que les états-majors "en prenaient pour leur grade" chaque fois que le bien-être de l'homme était en jeu.
Connaissant admirablement notre soldat, il s'est préoccupé de lui assurer un ravitaillement ample et varié. Il a ordonné ses plaisirs en arrière du front, réglé ses permissions à l'intérieur. Il a sauvé la France parce qu'il connaissait et aimait l'homme, notre admirable soldat français. Personne en dehors de lui ne pouvait reconstruire une armée comme il l'a fait en 1917. Foch n'aurait pas pu vaincre, si Pétain ne lui avait auparavant reforgé son outil. C'est pour cela qu'on ne peut les séparer.
Si, à Verdun, le soldat et surtout l'officier de troupe ne lui ont pas rendu toute la justice qu'il méritait, c'est qu'il s'est trouvé dans des conditions exceptionnelles. Qu'a-t-il constamment demandé aux hommes, exigé d'eux : "Mourir s'il le faut, mais arrêter le Boche". Et cela pendant des semaines et des semaines. Il est difficile de devenir populaire dans ces conditions. Le général se bat contre le Boche, mais surtout avec l'arrière, et jamais il n'a pu entrevoir d'autre possibilité que "d'arrêter le Boche", c'est tout ce qu'il peut faire avec les moyens dont il dispose. Par la suite, le général doit résister aux conseils d'attaque qui lui parviennent de tous côtés. Au G.Q.G., un bureau refuse de donner satisfaction à ses demandes ou les sert à retardement ; un autre bureau du même G.Q.G. s'étonne que l'on n'ai pas déjà repris tout le terrain. - Mais qu'est-ce que fait Pétain, pourquoi est-ce qu'il n'attaque pas ?
Un antagonisme profond n'a cessé d'exister entre l'armée de Verdun et le G.Q.G. ; le général Pétain ne tarissait pas en réclamations de tout genre : personnel, matériel, ravitaillement, transport ; c'est toujours en rechignant que satisfaction lui fut donnée et dans quelle mesure ! avec quelle lenteur !

Avec son beau calme, Pétain laisse dire, mais il agit : il arrête le Boche. Quand des parlementaires viennent lui demander si le Boche passera, il répond : - J'espère que non. Son prédécesseur à la IIe Armée, le général Nivelle, aux même questions, répond : - Jamais il ne passera. Cette belle confiance nous a valu les tristes aventures d'avril 1917. "

 

Journée du 12 octobre 1916, grand projet d'attaque du Commandement français. Témoignage de Joseph MORELLET, agent de liaison au 407e R.I. :

Le 12 octobre 1916, Georges Clemenceau rend visite à la 2éme Armée et au groupement Mangin :

" Le deuxième échelon du 407 était à la tourelle de Souville quand Clemenceau est arrivé, accompagné par quelques officiers. A un moment donné, près de la tourelle, un des officiers lui dit : "Monsieur le Président, là, il faut être très prudent et faire vite ; c'est très dangereux". Il répondit : "Quelle est la plus belle mort pour moi que de la faire ici ?".
Il est peu de divisions qui n'aient à raconter sur Clemenceau une anecdote semblable. En ce qui concerne celle-ci, nous avons vu Clemenceau en première ligne à trois reprises, au Bois-Brûlé en 1915, à Verdun en octobre 1916 et à la Main de Massives en 1918, et dans les secteurs qui n'étaient pas choisis d'ordinaire par les Parlementaires et les journalistes pour leurs visites au front.
C'était un homme ! "

Témoignage du téléphoniste Henri Aimé GAUTHE :

" On raconte que, ayant rencontré des territoriaux dans le boyau du Génie, Clemenceau les arrêta et leur dit : "N'est ce pas que vous commencez à trouver longues vos souffrances ? "Personne ne répondit. Il répéta sa question sous une autre forme et finit par obtenir de ces doux un oui lassé mais timide.
Toute notre mentalité est là. Oui, nous en avons plein les bottes, oui c'est bête et trop long et trop dur… mais ce oui-là sort de lèvres qu'on sent crispées et qui cependant, honteuses, craintives et admiratrices du galon, s'efforcent de sourire. Rictus pénible qui est une horrible contraction que la peur impose aux muscles. "

Témoignage du commandant P… :

" Le Président de la République (Mr Clemenceau) ne jouissait dans l'armée d'aucune popularité, mais on savait quel profond amour il portait à son pays, on connaissait sa loyauté, son intéressement, sa générosité, sa haute conscience, et peut-être était-il, de tous "les maîtres de l'heure", l'homme le plus estimé et le plus respecté des poilus. "

 

Journée du 24 octobre 1916, reprise du fort de Douaumont par les Français. Témoignage du sous-lieutenant R.P. MATIN du 30e R.I. :

" Le soir est arrivé et je patrouille le long de la ligne pour secouer ma peur. Oui, ma peur ! une peur rétrospective du danger couru. La responsabilité de l'officier ne lui permet pas d'avoir peur pendant l'action, mais seulement avant ou après. "

Témoignage du général PASSAGA :

" Comme il était léger le rôle du chef de jadis ! Dès que sonnait l'heure de l'attaque, ce chef se jetait dans l'action, dans cette action qui libère le cerveau et tue l'angoisse, comme elle tue la peur, parce qu'elle assure la circulation du sang. Aujourd'hui, avant l'attaque, me voici rivé, enchaîné à ce bout de tranchée, à ce centre moteur à demi brisé, à demi paralysé. L'inquiétude me dévore, l'angoisse me torture, et pourtant, si je veux conserver mon prestige à faire rayonner la confiance dans l'œuvre que j'ai préparée, aux yeux inquiets qui m'interrogent à la dérobée il me faut offrir un masque impassible. Mon geste doit rester sobre, ma voix ferme, ma pensée lucide !
Je ne connais pas d'épreuve plus dure, et aussi plus décisive pour la volonté du chef. "

Journée du 21 février 1916, attaque allemande sur la rive droite. Témoignage du colonel GRASSER :

" Le colonel Driant est dans le bois. Il visite ses postes. A minuit, il est à la grand'garde n°2. Il félicite le lieutenant Robin pour sa belle conduite, puis lui explique la situation. Elle n'est pas brillante, cette situation. Les chasseurs sont en flèche, sérieusement menacés de front et sur leurs deux flancs. Les Allemands ont des effectifs énormes.
- Mais alors, demande Robin, qu'est-ce que je fais là, avec mes 80 hommes ?
Le colonel le regarde longuement, comme s'il voulait peser son âme et savoir s'il pouvait tout dire à un si jeune officier. Puis : - Mon pauvre Robin, la consigne est de rester là…
Robin a compris. Il s'incline… "

Durant le mois de juin 1916, sur la rive gauche. Témoignage de l'adjudant VIDAL, aujourd'hui capitaine, du 4e Zouaves :

" Dans cette lutte incroyable de résistance, j'ai vécu auprès de mes hommes, que j'aimais par dessus tout, des heures d'héroïsme d'une magnifique beauté, exaltées par un pur sentiment de patriotisme.
A ce moment-là, j'étais encore adjudant, de sorte que je me trouvais en contact immédiat avec mes hommes. Tous se montrèrent les dignes successeurs de leurs devanciers, les fameux zouaves de la Garde de 1870. Dans les moments les plus critiques où j'étais plus que jamais leur ultime conseiller de tous les instants, ils comprenaient très bien que le salut de la patrie était entre leurs mains ; c'est pourquoi ils me disaient toujours, après chaque marmitage particulièrement violent : "Mon adjudant, on va rire, ils vont sortir, attention…" et je vous assure que les Allemands étaient reçus de telle façon qu'ils rebroussaient chemin immédiatement.
J'ai crispé dans mon souvenir ces fameuses et simples paroles d'un mourant : "Mon adjudant, nous les avons eus quand même ; que je suis content…" Le malheureux expirait ensuite avec un léger sourire qui me fit frissonner jusqu'au fond de mon être, et je n'ai pu m'empêcher de l'embrasser. "

 

Témoignage du commandant P. :

" Jamais, chez nous, une troupe ne s'est trouvée désemparée parce que ses chefs hiérarchiques étaient tombés, toujours surgissait un chef nouveau désigné par sa volonté et son intelligence, et celui-là tombé, un autre encore.
Plus d'une fois même, il est arrivé qu'à un chef indigne s'est substitué de lui-même un subordonné qualifié.
C'est un caporal qui, son aspirant aplati au fond d'une tranchée et grelottant de peur, crache dessus, et crie à ses camarades : "Les gars, à mes ordres ! "
C'est un lieutenant que je connais bien, qui, son capitaine terré au fond d'un abri pendant que ses hommes se battent, fait ce qu'il doit, puis, pendant une accalmie, mandé par le capitaine pour recevoir des instructions et des conseils, coupe la parole du froussard : "Mon capitaine, je vous laisse la citation que la compagnie est en train de vous gagner, mais laissez-moi les responsabilités que je suis seul en état de prendre. "
Ce n'est pas là de l'indiscipline, mais, au contraire, de la discipline pure, c'est-à-dire l'absolue soumission des exécutants au résultat qu'il s'agit d'obtenir. "

Témoignage du sergent PESNEAU du 101e R.I. :

" Pendant que nous occupions le tunnel de Tavannes, un jour que nous étions rassemblés pour aller en corvée, le général de P…, commandant la 247e brigade, me fit la réflexion suivante en me voyant porteur de la croix de guerre avec deux étoiles : "Où as-tu gagné cela ? Un jour de soûlographie, sans doute ?" Je lui répondis : "Mon général, je l'ai gagnée sur la Somme en septembre 1914, et au mont Sans-Nom, le 26 septembre 1915, où je fus grièvement blessé." Ce général, à la mine trop réjouie et au teint trop coloré, sourit et me tourna les talons. "

Journée du 5 mai 1916, lutte pour le cote 304. Témoignage du commandant P. :

" Le cas du lieutenant-colonel Odent est un exemple frappant des dangers que présentent pour la troupe les officiers d'état-major qui ont été obligés de prendre un commandement de trois mois, sous l'impulsion d'un sentiment équitable des parlementaires, mais avec une application défectueuse. Comment peut-on confier à un débutant au feu la conduite d'une unité comme un régiment et à Verdun !
Odent était un officier remarquable, fort intelligent et vraiment de premier ordre. Voyant sa position enlevée, il décide une contre-attaque - très bien - mais comment mener cette contre-attaque ? Il l'a menée comme aux manœuvres qu'il avait vues avant 1914, les compagnies en colonne serrée. Résultat inévitable : leur anéantissement sous le feu.
Conclusion à tirer : il est parfait de vouloir que les officiers d'état-major connaissent la troupe et sachent la manier à toutes les étapes du commandement, je dirai même que c'est une nécessité absolue. Mais, vraiment, n'est-il pas complètement stupide de leur faire faire leurs premiers pas, leurs premières éducations à la tête d'une unité ? Est-ce que trois mois suffisent pour cet apprentissage ? Pour conduire une troupe au feu, la bravoure ne suffit pas, il faut connaître son métier. "

 

Journée du 24 mai 1916, grande offensive française pour reprendre le fort de Douaumont. Le général Mangin passe le commandement du secteur de Douaumont au général Lestoquoi du 36e R.I. Témoignage du commandant P… :

" A 11 h 30, le général Mangin rend compte au général Nivelle qu'il a absolument besoin de 2 bataillons supplémentaires pour tenter une nouvelle attaque.
A 15 heures, vive altercation au téléphone entre le général Lebrun et le général Mangin. Le premier ordonne d'attaquer à nouveau, et le second répond : "Avec quoi ?" Le général Lebrun insiste, devint nerveux : "Il n'est pas admissible de laisser replier nos troupes, il faut garder le fort. Attaquez !" Le général Mangin : "Moi je ne fais pas d'attaque numéro 2, je n'attaque pas sans attaquer, tout en attaquant. "C'en était trop ! Le général Lebrun exaspéré lui crie : "Ah ! vous ne voulez pas attaquer, passez le commandement au général Lestoquoi." Celui-ci était déjà arrivé au P.C., la relève normale du général Mangin étant prévue pour la nuit suivante. Voilà ce qui explique ce passage inhabituel de commandement à 15 h 30. "

Journée du 24 octobre 1916, reprise du fort de Douaumont par les Français. Témoignage de Gaston GRAS, sergent au R.I.C.M. :

" Il y a des chefs qui électrisent la troupe, comme il en est dont elle se défie attentivement. Ce jugement des hommes est la meilleure référence…
Avec de tel chefs, l'on vérifie que la discipline qui fait la force principale des armées n'est en réalité qu'un accessoire indispensable : la vraie force des armées dépend uniquement de l'intelligence et du cœur des chefs. "