La guerre chimique

 

A la fin de 1914, l'entrée dans la guerre de position contraint les armées, qui n'ont pas du tout prévues cette situation, à modifier leurs méthodes de combats et à trouver de nouvelles techniques. C'est dans ce contexte que se développent les armes chimiques.

Néanmoins, il faut savoir que des études ont déjà été menées avant la guerre, du côté allemand comme du côté français. Cependant, elles n'ont pas été approfondies. Les Français ont tout de même conçus une grenade suffocante, qu'ils utilisent faiblement au tout début de la guerre, en août 1914, mais cette tentative reste sans suite. La raison majeure est que la France comme l'Allemagne a signée la Conférence de la Paie de 1899 et la Convention de la Haye de 1009, qui interdisent toutes deux formellement l'utilisation de gaz chimiques mortels.
Le début de l'année 1915 voit donc relancer énergiquement les travaux sur le sujet.

 

L'Allemagne, qui possède une industrie chimique beaucoup plus développée que la France, est la plus rapide à concevoir et à tester un gaz suffoquant : le chlore.
Ainsi, le 22 avril 1915, dans les Flandre, dans le secteur d'Ypres, en dépit de tous les accords internationaux, elle lance la première attaque aux gaz à grande échelle, dite "première opération par vague gazeuse dérivante". 150 tonnes de chlore à l'état liquide, dans des cylindres en acier pressurisés, sont libérés et portés par le vent vers les positions ennemies. Dans les tranchées françaises, c'est la débandade, rien n'a été prévu contre la guerre chimique. Les hommes hurlent de douleur, crachent du sang. Asphyxiés, aveuglés, ils font des efforts désespérés pour retrouver leur souffle, avant de mourir en lacérant leurs vêtements. Durant l'agonie, leur visage devient verdâtre, se crispe dans une expression monstrueuse, les pupilles exorbitées et striées de sang. Les boutons en métal de leurs uniformes sont attaqués par l'acide.

 

L'armée française se lance alors dans une course effrénée pour concevoir et équiper de protections contre les gaz, toutes les unités combattantes. Les tentatives seront nombreuses ainsi que les modèles distribués. Voir l'évolution des masques à gaz de l'armée française durant la première guerre mondiale dans la partie "Uniforme", "Les masques à gaz".

Parallèlement, la France lance un ambitieux programme de recherche pour concevoir ses premiers gaz de combat. En septembre 1915, sur le front de Champagne, la première attaque aux gaz est menée en remplissant de disulfure de carbone (thiophosgène) un obus du fameux canon de 75. Le produit extrêmement toxique à forte concentration, perd rapidement de son efficacité une fois dispersé dans l'air et au final, s'avère peu efficace.

 

De leur côté, les chimistes Allemands poursuivent leurs recherches et conçoivent une nouvelle substance à base de Brome. Ce gaz rouge/brun est notamment utilisé sur le front de l'Argonne en juin 1915. Ses effets sont sensiblement identiques à celles du chlore.

Apparait également le chloroformiate de méthyl chloré ou trichloré qui est utilisé la première fois contre les Français en juillet à Neuville-Saint-Vaast. Ses effets sont plus nocifs que le brome et sa dispersion se fait par obus. Cette nouvelle méthode favorise le développement de l'artillerie chimique allemande.

Un certain nombre de produits lacrymogènes sont également conçut pas les Allemands à cette période, le bromacétone et le bromométhyléthylcétone entre autre. Ils provoquent notamment des douleurs oculaires, des larmoiements, des conjonctivites et à forte concentration, des irritations et brûlures cutanées.
En fin d'année, un nouveau produit dérivé du chloroformiate de méthyl voit le jour, l'oxychlorure de carbone. Il est beaucoup plus toxique que ses prédécesseurs. Sa dispersion se fait également par obus. Il est utilisé à Ypres en décembre 1915. Ses effets produisent une toux importante, des difficultés respiratoires, et après plusieurs heures d'exposition, des œdèmes pulmonaires et la mort.

 

A chaque nouvelle substance qui entre en service, les solutions neutralisantes et les protections contre les gaz, qu'elles soient sur les parties respiratoires ou sur les yeux, doivent évoluer en conséquence. Elles doivent bien entendu être efficace contre les nouveaux gaz, mais conserver leurs efficacités contre les anciens, qui continuent à être utilisés. C'est une guerre technologique qui s'engage entre les chimistes et ingénieurs Allemands et Français.
Beaucoup de substances toxiques sont trouvées en Allemagne comme en France, cependant, elles ne sont pas toutes développées et finalement, utilisées.
Pour qu'un gaz soit efficace "sur le terrain", il doit non seulement posséder une toxicité assez importante, mais doit également ne pas être trop volatile. Un produit très toxique peut perdre toute son agressivité une fois libéré dans l'atmosphère.
Pour être développé industriellement, une substance toxique ne doit pas être trop compliquée à concevoir, et pas trop onéreuse. Elle doit pouvoir être stockée facilement et en toute sécurité. Elle ne doit pas perdre son caractère agressif si elle est entreposée trop longtemps.
Pour être manipulée, elle doit pouvoir être facilement conditionnée dans un support de diffusion, tubes en acier, bouteilles en verre, bombonnes, obus… Etre facilement transportable et mise en place avant l'attaque.

Devant toutes ces difficultés de conception, les attentes que l'on peut avoir sur un gaz sont relativisées. Et il est constaté qu'un gaz ne doit pas forcément être mortel pour être efficace. Le but est bien d'infliger des pertes à l'ennemi mais sont évacuation vers l'arrière suffit. Le but est également de démoraliser et fragiliser l'adversaire, moralement et physiquement. Diminuer sa combativité.
Les "gaz de combat" utilisés tout au long du conflit peuvent être divisés en plusieurs catégories suivant leur action sur l'organisme :

Les suffocants : chlore, chloroformiate de méthyl chloré ou trichloré, disphogène …
Les premiers datent de début 1915.
Ils agissent essentiellement sur les poumons ou ils altèrent les échanges respiratoires avec les organes. A fortes doses, les lésions peuvent êtres irrémédiables et mortelles (mort par asphyxie).

Les irritants lacrymogènes : bromacétone, bromométhyléthylcétone …
Les premiers datent de début 1915.
Leurs actions sont instantanées et localisées sur les voies respiratoires et les muqueuses (yeux, nez, bouche, gorge). Ils procurent une sensation de brulure, de suffoquement, des douleurs oculaires et nasales qui mettent le sujet hors d'état de combattre. Leur périmètre d'action peut être très étendu, sur plusieurs kilomètres derrière le front.
Un fois que le sujet intoxiqué a été évacuée de la nappe, les symptômes s'estompent peu à peu et dans la majeure partie des cas, ne laissent aucune séquelle.


Soldats britanniques intoxiqués aux gaz lacrymogènes

Les irritants sternutatoires : chlorure et cyanure de diphénylarsine, dichlorure et dibromure d'éthylarsine, méthyl dichloré et dibromé …
Les premiers datent de mi 1917.
Leurs actions sont sensiblement identiques à celles des irritants lacrymogènes mais ils ont néanmoins la capacité de traverser les filtres des masques à gaz en service au moment de leur invention. Ils sont élaborés à partir d'arsenic et sont à l'état solide avant leur transformation en gaz.

Les toxiques : d'acide cyanhydrique, cyanogéne …
Les premiers datent de mi 1916.
Ils sont dérivés du cyanure et très toxique. Ils pénètrent dans l'organisme en traversant la paroi pulmonaire et provoquent à faible dose, des nausées et vomissements, à forte dose, la paralysie du système respiratoire, des convulsions, des émissions d'urine et de selles et la mort rapide.

Les vésicants : sulfure d'éthyl dichloré …
Les premiers datent de mi 1917.
Très dangereux, ils possèdent à la fois des propriétés lacrymales et toxiques. Ils provoquent des lésions graves et irréversibles sur tous les organes avec lesquels ils sont mis en contact (brûlures et destruction de la structure cellulaire). Leur pouvoir lacrymal provoque d'intenses douleurs aux muqueuses et à la peau, leur pouvoir toxique agis gravement sur l'organisme en provoquant des œdèmes du poumon, bronchite, asthme, vomissement de sang, diarrhée hémorragique, infection du sang rendant le patient très vulnérable.
Ils sont très persistants car ils imprègnent le terrain et les vêtements, ou ils peuvent rester actifs durant plusieurs semaines (plusieurs cas constatés d'intoxication par ingestion d'aliments contaminés). Leur action n'est pas immédiate, les symptômes apparaissent plusieurs heures après l'exposition.


Soldat canadien intoxiqué aux gaz vésicants

 

Devant les dommages que peuvent produire les gaz de combat sur les unités en ligne, les armées mettent rapidement en place des procédures de sécurités très strictes. Chaque homme doit prendre un soin extrême à l'entretient de sa protection contre les gaz. Il doit la porter en permanence sur lui, même en période de repos s'il se trouve à moins de 10 kilomètres du front. En première ligne, un système de guet est mis en place, qui devient systématique à partir de janvier 1916. Après l'apparition des gaz vésicants, il est interdit d'ingérer de la nourriture ou de l'eau récupéré sur le champ de bataille.


Au début de l'année 1916, après ses premiers tests par obus réalisés en septembre 1915, la France est parvenue à constituer des stocks de chlore suffisants pour déclencher ses premières attaques par vagues gazeuses dérivantes. Elle ne réalisera que 25 opérations de ce type durant l'année 1916.

 

L'Allemagne, quant à elle, diminue progressivement ses attaques par vagues dérivantes qui s'avèrent difficiles à maitriser car totalement dépendantes des vents et imposant un énorme travail de préparation. 8 seront réalisées pendant le premier semestre 1916, la dernière ayant lieu au mois d'août. Elle va alors concentrer essentiellement et massivement sa production sur les obus chimiques, la propagation par obus étant jugée plus fiable et beaucoup plus simple à mettre en œuvre au niveau de la logistique.
Accentuant leurs recherches, un nouveau gaz est conçu par les chimistes allemands, le disphogène (gaz suffocant). Il est dispersé par obus et a la particularité d'être très persistant, jusqu'à 12 heures, car il imprègne le terrain et les vêtements. Il est utilisé la première fois en mars sur le front de Verdun, et lors de 5 autres attaques jusqu'en juillet 1916, également sur Verdun. A chacune d'elles, la quantité d'obus lancés sur les lignes Françaises est croissante.

En juillet, sur le front de la Somme, les Français utilisent pour la première fois un nouveau gaz conçu à base d'acide cyanhydrique. Créant ainsi la catégorie des gaz toxiques. Il est dispersé par obus.

 

L'année 1917 marque un tournant dans la guerre chimique.
L'Allemagne, tout abord, qui introduit en juillet 1917 deux nouveaux gaz très toxiques, ouvrant la voie à la fois à la catégorie des irritants sternutatoires, avec le chlorure de diphénylarsine, et à celle des vésicants, avec le sulfure d'éthyl dichloré. Ces 2 nouveau gaz sont essentiellement dispersés par obus.
Le chlorure de diphénylarsine a la faculté de traverser les cartouches des masques à gaz utilisés en 1917. Cet état de faite remet en question la fiabilité des protections et contraint les Français comme les Britanniques à trouver de nouvelles solutions neutralisantes.

Le sulfure d'éthyl dichloré (également appelé Ypérite) qui, en plus d'être le gaz le plus toxique jamais conçu depuis le début de la guerre chimique, possède des facultés jamais observées à ce jour : bruler toutes les parties du corps exposées, n'agir que plusieurs heures après contamination, si bien que le sujet ne s'en rend pas compte, et être persistants en restant actif sur le terrain durant plusieurs semaines. Ces nouvelles propriétés extrêmes vont raviver la terreur des combattants pour les attaques aux gaz, qu'ils étaient parvenu à quelque peu maitriser depuis 2 ans.

L'Angleterre, ensuite, qui le 4 avril 1917 dans la région d'Arars, utilise un nouveau mortier pour disperser le gaz, le lanceur Livens, du nom de son inventeur, le lieutenant LIVENS.

Ce mortier a nombreux avantages :
- Sa conception est très simple, un simple tube en acier de 21,5 cm de diamètre fermé à une extrémité, à demi enterré et maintenue incliné à 45°. Un coût de fabrication désuet ;
- Sa portée est honorable, 1,25 km lorsque le tube à une longueur de 1,26 m. Le lanceur Livens sera produit en 3 longueurs, 0.71 m, 0.84 m et 1.26 m ;
- Sa mise à feu est électrique, la encore, le coût est désuet. De plus, cette méthode permet la mise à feu simultanés de nombreux mortiers installés les uns à côté des autres. Une telle disposition permet de concentrer le tir en un point précis et produire un nuage toxique tellement dense que le masque à gaz devient inefficace ;
- Il peut projeter plusieurs types de projectiles. Les Britanniques concevront des projectiles toxiques, incendiaires, fumigènes et inertes pouvant être lancés avec le mortier.

En octobre 1917, sur le front de l'Aisne, les Français commencent à utiliser à leur tour le mortier Livens.

Les Allemands s'emparent également de l'invention en parvenant à capturer aux britanniques un exemplaire du mortier Livens. Après études, ils mettent au point le mortier Gaswerfer basé sur la même technique, mais avec quelques améliorations. Equipé d'un " bouton " sur l'arrière du mortier, il est possible d'ôter facilement un projectile que ne serait pas parti, il est plus précis et sa portée maximale passe à 3,5 km.
Il est utilisé la première fois le 24 octobre sur le front italien puis dans la nuit du 5 décembre sur le front français, dans le secteur de Réchicourt.

 

L'année 1918 n'est pas marquée par des nouveautés mais un renforcement et un développement à outrance des techniques déjà en place.
L'utilisation du mortier Livens et de sa version allemande, le mortier Gazwerfer s'amplifie jusqu'à la fin de la guerre dans toutes les armées.
Les attaques aux gaz deviennent systématiques lors des offensives et se produises en plusieurs endroit du front à la fois. Elles sont minutieusement préparées et les quantités de gaz utilisées sont beaucoup plus importantes. La multiplication préoccupante des intoxiquassions graves imposent aux services de santés la création d'unités sanitaires spécialisées.
L'efficacité des munitions chimiques est énormément renforcée. C'est essentiellement le cas du côté allemand, ou les substances sternutatoires et vésicantes deviennent beaucoup plus agressives, où la quantité de produit dans les obus est augmentée et où la combinaison de plusieurs catégories de gaz parvient, par des savants mélanges, à être composée et introduite dans un même projectile. Un même obus peut donc dégager à la fois des substances suffocantes, lacrymogènes, irritantes, stermutatoires et vésicantes.

En juin, les Français utilisent pour la premières fois des obus chargés d'Ypérite (catégorie des vésicants), moins d'un an après l'Allemagne. Au prix d'un important programme de recherche, ils sont parvenus à rattraper leur retard. Lors des premiers bombardements, les Allemands sont totalement prix au dépourvus. Ils sont contraints en urgence de revoir à leur tour leurs protections contre les gaz.

L'arrivé de ce nouveau gaz mettra fin définitivement pour l'armée Française à l'utilisation de la méthode des vagues dérivantes. De 1915 à 1918, 400 émissions par vagues dérivantes auront été réalisées, 301 pour l'Angleterre, 51 pour la France, 50 pour l'Allemagne, 6 pour la Russie et 1 pour l'Autriche-Hongrie.

 

Si l'armistice met un terme aux attaques aux gaz, elle ne stoppe en aucun cas les recherches sur le sujet. Les gaz seront perfectionnés dans l'entre deux guerre et largement utilisés durant la seconde guerre mondiale.