Les tranchées

 

Après la bataille de la Marne du 5 au 10 septembre 1914, et le repli des Allemands jusqu'à l'Aisne, Allemands et Français tentent de se déborder l'un l'autre. Cette manœuvre entraine un glissement du front vers les Flandres et prend improprement le nom de " Course à la mer ".
Dès lors, l'armée française se retrouve immobilisée face à l'armée allemande. Deux lignes compactent formées de milliers d'hommes cherchent chacune à réaliser une brèche dans l'autre. Les états-majors se retrouvent alors dans une position très dangereuse pour leur armée respective, cependant, aucun n'entend céder le moindre mètre carré de terrain à son adversaire. Ne parvenant pas à trouver de solutions tactiques concevables, et afin de ménager les hommes épuisés, les généraux optent pour la défensive et ordonnent de se fortifier sur place. Les deux armées s'enterrent l'une face à l'autre sur un front de plusieurs centaines de kilomètres.
A la fin d'octobre 1914, les premières tranchées apparaissent donc, le conflit est entré dans " la guerre de position ".

Si les premières tranchées de 1914 sont creusées hâtivement, les premiers mois de 1915 voient se mettre en place un redoutable système défensif tout au long du front. La réalisation est méthodique et minutieuse, et les moyens mis en œuvre sont très importants. En quelques mois, la tranchée a perdu le caractère temporaire qu'elle avait initialement, et elle est devenue un véritable mode de vie.

Les tranchées ne sont pas une nouveauté. Depuis l'antiquité, les différents sièges ont permis d'acquérir une certaine maitrise sur le sujet. Cependant, la guerre de 1418 va pousser la technique à son extrême.
Un dispositif de tranchées n'est pas une simple série de lignes creusées dans la terre, plusieurs critères et caractéristiques sont impératifs pour qu'il soit efficace et remplisse son rôle :
- Il doit être assez fortifié et assez bien étudié pour prétendre stopper une attaque ennemie ;
- Il doit pouvoir héberger un grand nombre d'hommes en vue d'une action offensive. Il doit par conséquent être facilement et rapidement accessible à de gros effectifs ainsi qu'à l'approvisionnement ;
- Il doit offrir une bonne protection aux hommes qui l'occupent ;
- Il doit pouvoir être réalisé dans tous les types de terrains et reliefs ;
- Il doit pourvoir facilement adapter ses défenses par rapport aux armes employées par l'ennemi, ainsi que s'adapter aux évolutions techniques et militaires de la guerre moderne ;

Il est donc réglementé dans les manuels militaires toute une série de concepts importants à suivre dans la réalisation d'un dispositif de tranchées. Le point crutial est qu'il doit être composé de plusieurs catégories de tranchées qui se différencient chacune par leur fonction. Chaque catégorie possède en théorie une forme, une largeur, une profondeur, des dispositifs et des aménagements différents des autres :
Ainsi, nous pouvons différencier :
- Les tranchées de tir dites " tranchées de premières lignes " qui constituent la ligne de front ;
- Les boyaux de communication
, qui permettent de rejoindre, d'approvisionner, d'évacuer la ligne de front ;
- Les tranchées d'appui dites " tranchées de secondes et de troisièmes lignes " qui constituent le point d'appui et de ravitaillement à la tranchée de tir;

 

Tranchée de tir ou tranchée de premières lignes :
D'une manière générale, une tranchée ne doit jamais être rectiligne afin d'empêcher les tirs en enfilade et les effets de souffle. Plusieurs formes existent : en zigzags ; en vagues ; en crémaillères ; en traverse, en traverse tournantes...
Une tranchée de première ligne est le plus souvent tracée en traverses ou en traverses tournantes.


Tranchée en traverses


Tranchée en traverses tournantes

Sa morphologie est étudiée afin que l'ennemi ne puisse pas voir si elle est occupé ou non. Sa largeur est d'environ 1 m 50. Elle est assez profonde pour que les hommes puissent circuler debout sans être inquiétés des tirs de l'ennemi. Au sol, un étage est conservé vers l'avant, il porte le nom de " banquette de tir ". Debout sur ce promontoire, les hommes peuvent surveiller la tranchée adverse et tirer.
La terre qui a été extraite au moment du terrassement de la tranchée est répartie sur le rebord avant, le parapet, et sur le rebord arrière, le parados. Ces deux reliefs artificiels ont pour but d'accroitre la protection à la fois des tirs de face et des obus qui éclateraient devant ou derrière la tranchée.

Dans la tranchée, différents aménagements peuvent être entrepris : Les bords de la tranchée peuvent être renforcés de sacs de terre ; Des caillebotis de bois (treillages réalisés de fines branches) peuvent être disposées contre les parois, ils servent à les renforcer et à absorber la dilatation que leurs causent les intempéries et les vibrations des bombardements ; Le sol peut être rehaussé de planches de bois afin de préserver les hommes de l'humidité et de la boue ; Les banquettes de tir peuvent être renforcées de planches de bois...

.......

Tout au long de la tranchée, des postes d'observation sont installés Ils sont placés stratégiquement aux endroits ou le relief permet la meilleure vision de la tranchée adverse.
De plus, à 20 ou 30 mètres en avant, des postes d'écoutes et d'observations sont ajoutés. Ils sont tenus par 2 ou 3 hommes bien armés qui ont pour but de scruter attentivement la tranchée ennemis et de rapporter tous les mouvements et bruits anormaux. Ils sont en quelque sorte les postes " éclaireurs " de la position principale. Ils sont reliés à la tranchée de première ligne par des boyaux de communication.

A espace régulier, des abris couverts dit "abris léger" ou "sapes" sont aménagés. Ils peuvent abriter 6 à 8 hommes. Ils doivent être creusés sous plusieurs mètres de terre et renforcés de rondins et de poutres de bois afin de pouvoir résister à un bombardement de petits calibres tels que les 77 et 105 mm.

..
Abris léger

En général, les tranchées de premières lignes sont suivies d'un réseau de fils barbelés plus ou moins dense. C'est le moyen de défense le plus rapide et le plus facile à mettre en place sur une grande étendue. De plus, il est peu onéreux, facile à produire, léger, peu encombrant avec son stockage en rouleaux, relativement facile à acheminer jusqu'aux tranchées de première ligne, pouvant être mis en place par peu d'hommes et très difficile à détruire par les bombardements. Pour toutes ces raisons, il est employé massivement.

 

Tranchée de communication :
Comme une tranchée de première ligne, un boyau de communication ne doit jamais être rectiligne. Il est le plus souvent tracé en zigzags, en vagues ou en crémaillère. Il est souvent très étroit afin de protéger au mieux les hommes qui les empreintes et profonds de 1 m 50 à 2 m.

Les changements de directions doivent être nombreux et aménagés afin de permettre un croisement facile. En effet, le boyau de communication est sujet à une multitude de va et vient : les brancardiers qui évacuent les blessés sur les brancards, les " hommes soupes " qui amènent les repas, les hommes de ravitaillement chargés de munitions et de matériels diverses, les coureurs qui rejoignent les postes de commandement ainsi que les officiers qui vont y chercher les ordres, les troupes qui relèves ou qui sont relevés...

...

La plupart du temps, ce n'est qu'à ces changements de direction que tout croisement est possible. Il en existe plusieurs formes.

Ces boyaux ont un point faible, en cas d'invasion des premières lignes par l'ennemi, ils facilitent la progression de ce dernier vers l'arrière. Il est donc impératif de mettre en place tout au long du boyau des points fortifiés. Ils servent alors à ralentir les éventuels assaillants qui emprunteraient le boyau.

 

Tranchées d'appuis ou tranchées de secondes et troisièmes lignes :
A 100 mètres environs en arrière se trouve la tranchée d'appuis de seconde ligne. Elle est parallèle à la tranchée de première ligne et y est reliée par les boyaux de communications. Le plus souvent, elle a le même tracé en traverses ou en traverses tournantes.
Cette tranchée a plusieurs fonctions, elle sert de tranchée d'appui à la première ligne, de point de replis si la première ligne devient intenable, de lieux de rassemblement lors d'une offensive, de lieux de repos pour les hommes, de poste de commandement et de poste de secours.

Cette tranchée est donc aménagée en conséquence avec des abris volumineux et robustes. Ils sont en théorie recouvert d'un minimum de 6 mètres de terre, possèdent 2 sorties et leurs parois sont bétonnées. De tels abris sont capables de résister aux obus de gros calibres tels que les 380 et 420 mm.


Abris bétonné

Le poste de commandement est équipé de lignes téléphoniques et de pigeons voyageurs. Le poste de secours dispose d'équipements permettant les opérations d'urgences et la réalisation des premiers soins en attendant de l'évacuation des blessés vers l'arrière. La tranchée est renforcée de mortiers de tranchées, les " crapouillots " (voir le thème sur "L'artillerie de tranchée").

Dans certains cas, le dispositif est renforcé d'une troisième ligne. Elle sert alors de tranchée de ravitaillement avec des entreposages de munitions, de matériels et de provisions. Elle accueille les blessés et les dirigent vers les relais d'ambulances. Elle sert la aussi de lieu de repos pour les hommes.

.Ces 2 photos montrent un échantillon de toutes les formes de tranchée.


Les tranchées de première, seconde et troisième ligne sont en formes de traverses. On remarque quelques postes d'écoute devant la tranchée de première ligne en haut. Les boyaux de communication sont soit en vagues soit en zigzags.

Nous voyons ici une longue tranchée en forme de traverses tournantes et un boyau en traverses.
En face, une tranchée en forme de vagues.

 

 

Les tranchées à Verdun :
Avant le déclenchement de l'offensive allemande le 21 février, le secteur de Verdun côté français n'est pas particulièrement bien agencé. Il peut même être qualifié de pitoyable par rapport à d'autres secteurs :
- Les 1ère lignes ne sont qu'une suite de tranchées en grandes parties éboulées et ne formant pas une ligne continue. Leurs parapets sont étroits et leurs créneaux trop espacés.
Le réseau de fil de fer barbelé est peu dense et en très mauvais état. En certains endroits, il est remplacé par de simples haies en bois, à d'autres, il n'y a rien du tout. Les postes d'observation sont trop peu nombreux, mal placés, ils n'offrent pas une vision suffisante et efficace.
Les abris et les sapes sont peu profonds et ne protègent que des éclats d'obus. Ils ne peuvent en aucun cas supporter un violent et puissant bombardement. Quelques cavernes ont été creusées mais elles ne sont pas volumineuses et ne disposent que d'une seule issus ;
- Les secondes lignes sont un peu mieux réfléchies et dessinées, mais elles sont trop espacées et totalement laissées à l'abandon. ;
- En arrière, les liaisons entre les villages et vers les lignes de front sont dérisoires. Un seul boyau étroit relie le village de Forge à la côte de l'Oie. Quelques boyaux seulement, ne bénéficiant d'aucune protection, partent de Forge vers l'avant.
Enfin, les postes de commandement font cruellement défaut.

Le 21 février, lorsque débute l'offensive allemande, le bombardement sans précédent qui s'abat sur les positions françaises anéantie purement et simplement les tranchées de premières et de secondes lignes.
Durant les 4 jours qui suivent, les Allemands repoussent loin en arrière les combattants français. Il n'y a donc pas de tranchées dans cette campagne, si loin de l'emplacement que le front occupait quelques jours auparavant. Chaque compagnie qui se replie ou qui arrive en renfort est contrainte à se fortifier sur place au gré du combat.

Témoignage du caporal MARQUOT du 156e R.I.: " Partis de Charmes, nous avons marché toute une journée et toute une nuit et nous sommes arrivés à la côte du Poivre le 25 février au début du jour. On nous avait dit : "Nous ne savons pas où est l'ennemi, allez de l'avant jusqu'à ce que vous le rencontriez et là, fortifiez-vous sur place.""

" Se fortifier sur place ", en langage militaire de la première guerre mondiale signifie creuser une tranchée. Il est possible de creuser une tranchée (ou un semblant de tranchée) sous le feu de l'ennemi. Chaque homme se regroupe par binôme, alors qu'un homme se charge de défendre, l'autre creuse. La terre qui est extraite est poussée sur l'avant. Une fois que le trou est assez large et profond pour les 2 hommes, il est relié aux trous d'à côté. Au final, est obtenu une sorte de tranchée irrégulière mais qui peut être améliorée par la suite si des accalmies le permettent.


Soldats en train de creuser une tranchée au début de la bataille de Verdun

 

A Verdun, le bombardement est tellement violent tout au long de la bataille, et les lignes tellement disputées, que très peu de tranchées peuvent être organisées. Les positions d'où se battent les soldats ne sont dans la plupart des cas, que de simples boyaux étroits composés de trous d'obus reliés les uns aux autres. Dans ces tranchées, aucun abri digne de ce nom ne peut être creusé car les combats et les bombardements sont trop intenses. Les soldats se bornent à creuser des trous individuels dans les parois pour se protéger des éclats d'obus et de la pluie. Ces abris de fortunes ne peuvent en aucun cas résister aux obus de moyens et gros calibres.


Tranchées à Verdun

Plus en arrière, des abris plus importants parviennent néanmoins à être réalisés durant la bataille, mais les conditions extrêmes des combats empêchent tous aménagements convenables et décents de ces lieux.
Témoignage du téléphoniste ROBICHON, du 95e R.I. :
" Notre poste était une caverne creusée dans la paroi de la butte des Eparges ; il y avait à l'intérieur 50 centimètres d'eau et de boue. On mettait des planches sur des tréteaux branlants et on essayait de dormir assis. La terre au-dessus de nous était remplie de corps en putréfaction et l'eau qui tombait dans ces cavernes, par gouttes pressées, était nauséabonde.
Quand les obus tombaient dans le ravin, on voyait monter une haute colonne d'un liquide épais et verdâtre où l'on devinait plus de chair en décomposition que de terre. Quand nous partions de là, après huit jours de garde, nous étions maigres et notre visage avait une teinte blafarde, une teinte cadavérique. "

Tout au long de la bataille de Verdun, et durant toute la guerre d'ailleurs, une différence peut être faite entre les tranchées allemandes et françaises.
Les Allemands sont les assaillants, tout territoire conquis sur le sol français doit être conservé le plus longtemps possible. Du côté français, c'est l'inverse. Le pays est envahi et dès qu'une position est reconquise, on pense aussitôt à pousser plus en avant.
Ces deux états d'esprit font toute la différence. Du côté allemand, lorsqu'une position est prise, un soin particulier est donné pour l'améliorer, la renforcer, l'aménager confortablement, mettre en œuvre les moyens nécessaires à son approvisionnement. La rigueur allemande va d'ailleurs parfaitement dans ce sens.
Du côté français, ce travail est négligé car la position reprise à psychologiquement un caractère temporaire, sans tarder, il va falloir progresser plus en avant. Il n'est donc pas nécessaire de déployer de gros moyens pour la renforcer et l'aménagé. Cela est jugé inutile.
Témoignage du commandant P… :
" Au début de la bataille de Verdun, un grand nombre de tranchées françaises n'étaient constituées que par de simples boyaux avec des banquettes de tir à peine ébauchées. Les boyaux de dégagement vers l'arrière étaient rares et peu profonds. Rares également les abris et sans aucun confort ; l'eau y suintait de partout et formait au sol des flaques ; pas de bancs pour s'asseoir ; pas même un clou pour accrocher musettes et bidons.
Un correspondant note que, dans son abri au Mort-Homme, il n'y avait pas de fusées éclairantes, douze fusées de couleur étaient sans baguette et sur huit qui restaient, quatre n'avaient pas d'amorce.
Une fois encore, l'imprévoyance d'en haut, l'insouciance d'en bas, allaient nous coûter cher.

Une comparaison peut être faite, dès maintenant, entre les deux méthodes, l'allemande et la française. Un fantassin français, fait prisonnier au début de mars, est conduit dans les tranchées allemandes du bois de Forges : "Quelles tranchées !"écrit-il. Le sol, large d'un mètre, est dallé ; les murs sont en pierre avec des joints cimentés ; ils ont trois mètres de haut avec un chemin de ronde à 1 m 50 ; tout dans le fond, des abris… "

Il en résulte que tout au long de la guerre, les soldats français ont toujours été plus mal lotis que les Allemands. Dans un même secteur du front, ils ont souvent beaucoup plus souffert de leurs conditions de vie dans les tranchées que leurs adversaires.
Témoignage du commandant P… :
" Trois ans après la fin de la guerre, au cours d'un pèlerinage en forêt d'Apremont, je fus stupéfait de ne pouvoir retrouver des emplacements où je m'étais battu pendant plus d'un an, alors qu'à vingt mètres plus loin, dans les lignes allemandes, tranchées, sape, boyaux, postes de secours, tout était demeuré intact. Chez nous, la terre nue où l'on se cachait comme l'on pouvait ; chez les Allemands, du ciment à profusion. "