Le champ de bataille et le bombardement…

Le champ de bataille...

Témoignage du soldat Paul MUENIER :

" Verdun, c'est l'enfer, ça ne se raconte pas, ça se vit.
On aura tout vu, ces ventres béants ou le rat mort, ces visages livides, ces corps gelés, sur les cadavres la vermine, une odeur épouvantable que nous ne connaissions pas. Toutes ces horreurs sans nom qui nous environnent ne sont rien à côté de celles qui se préparent.
Quelle atmosphère d'affolement, d'inouï et jamais vu. Où sommes-nous ? "

Journée du 1er mai 1916, lutte pour le ravin de la Dame. Témoignage du soldat LECUELLE du 170e R.I. :

" Rien que des troncs calcinés, des fils de fer déchiquetés, des trous, des débris informes. Des geysers de terre jaillissaient de tous côtés, mêlés à une fumée jaune verdâtre et traversée de langues de flammes livides. Une odeur de cadavres, de sang, de poudre, de gaz, nous écœurait et nous suffoquait. "

Journée du 22 avril 1916, lutte pour le Mort-Homme. Témoignage du soldat Louis CORTI du 30e R.I. :

"Il a plu et la boue a envahi tout le secteur. Cherchant un abri, un homme s'est jeté dans le boyau, et la boue est aussitôt montée jusqu'à sa ceinture.
Il demande de l'aide ; 2 hommes lui ont tendu leurs fusils, mais ils ont glissé et vite, ils ont repris place dans la colonne qui passe tout près, sourde aux supplications de l'enlisé qui s'enfonce, sans secours.
Car on meurt de la boue comme des balles. Des blessés sont engloutis dans ce marais perfide. Ici, c'est la boue qui obsède, la boue glissante et liquide, l'affreuse boue Meusienne soulevée, piétinée, tassée par des centaines de milliers d'hommes, de chevaux, de voitures.
Une mer de boue jaune qui pénètre jusqu'à la peau, elle réussit à se glisser sous les planches et les couvertures. Nous vivons sous la boue, nous voyons de la boue partout, et des cadavres, des cadavres, et encore de la boue, et encore des cadavres. On a appris à vivre dans la terre avant de mourir."

 

Témoignage du soldat Jules GROSJEAN :

" Je crois n'avoir jamais été aussi sale. Ce n'est pas ici une boue liquide, comme dans l'Argonne. C'est une boue de glaise épaisse et collante dont il est presque impossible de se débarrasser, les hommes se brossent avec des étrilles. Par ces temps de pluie, les terres des tranchées, bouleversées par les obus, s'écroulent un peu partout, et mettent au jour des cadavres, dont rien, hélas, si ce n'est l'odeur, n'indiquait la présence. Partout des ossements et des crânes. Pardonnez-moi de vous donner ces détails macabres ; ils sont encore loin de la réalité. "

Témoignage de Robert PERREAU, caporal au 203e R.I. :

" Habilement endiguée par l'ennemi et dirigée vers nos lignes, l'eau a envahi bientôt notre tranchée. Grossi par les pluies, le fleuve s'insinue entre nos remparts de terre et mine nos parapets qui s'effondrent. La tranchée n'est plus maintenant qu'une mare de boue d'où monte une odeur intolérable.
On se réfugie sur les rares banquettes qui tiennent encore. Les caisses de grenades constituent des perchoirs sur lesquels on s'agrippe et où l'on cherche à grouper les couvertures, les musettes, les grenades et les armes.
Toute tête qui dépasse le parapet est une cible pour le guetteur d'en face. Il faut rester accroupi sur son socle pour ne pas s'enfoncer dans la boue jusqu'au ventre ou rester enlisé.
Au bout de quelques heures, cette position cause une souffrance atroce.
Il est impossible de communiquer entre nous pendant le jour. Tout objet qui échappe des mains est irrémédiablement perdu dans la boue liquide. Le moral est plus bas que je ne l'ai jamais vu devant de telles misères physiques. La pluie tombe sans arrêt et traverse nos vêtements. Le froid nous pénètre, les poux nous sucent, tout le corps est brisé.
La pluie et la boue décomposent les cadavres d'où s'exhale une odeur écœurante. Nous ne mangeons plus. Je vois des hommes de quarante ans pleurer comme des enfants. Certains voudraient mourir.
Seule la nuit nous permet de quitter une position que nous avons dû garder pendant 12 heures. "

 

Journée du 4 octobre 1916, grands projets d'attaque du Commandement français. Témoignage du colonel DESPIERRES, du 239e R.I. :

" Je vais faire la tournée du secteur en suivant la première ligne. Je ressens une impression inimaginable ; des deux côtés, boche et français, les tranchées sont envahies par l'eau. Il y a une profondeur de près d'un mètre. C'est dire que ces tranchées ne peuvent plus être occupées par les éléments de première ligne. Tout le monde est sur le parapet. Les Boches à dix mètres nous regardent avec indifférence. C'est une véritable trêve qui paraît être conclue entre les deux partis. On ne cherche qu'une seule chose, c'est vivre comme on peut et surtout échapper à cette humidité croissante qui, par les froids qui commencent, devient impossible à supporter. "

Témoignage de Lucien JOURDAN, sergent au 48e R.I. :

" Je mets la tête hors du boyau pour essayer de reconnaître les morts qui sont étendus là. Seul, car tout le monde est terré, je suis épouvanté devant ce gigantesque charnier et suffoqué par l'odeur qui s'en dégage.
A perte de vue, la terre est recouverte de cadavres : tout est changé : les vivants sont sous terre et les morts sur la terre "

 

 

Le bombardement...

Témoignage du général NAYRAL De BOURGON :

" L'émotion inévitable sous le feu produit chez beaucoup une stupeur où disparaît l'intelligence, où la vue même s'obscurcit par la dilatation des pupilles ; les traits du visage se contractent, les yeux deviennent hagards, l'homme agit par réflexes au milieu d'une sorte de brouillard psychique et même physique où il perd conscience de lui-même "

Journée du 25 février 1916, prise du fort de Douaumont par les Allemands. Témoignage de J.-P., lieutenant au 95e R.I. :

" Le bombardement dans les journées du 25 et du 26 février, a atteint une violence qui a dépassé peut-être celle des plus mauvais jours. Le front d'attaque s'était, en effet, rétréci ; toute la force de l'artillerie ennemie pouvait se porter sur l'obstacle restreint dont elle voulait triompher : le fort de Douaumont d'abord, puis le village de Douaumont.
Les obus tombent, tombent, les tranchées s'effondrent, les cadavres s'entassent, le tumulte des éclatements martèle les cerveaux, le sol bout, le ciel se disloque.
Qui pourra jamais fixer sur la plaque photographique le tourbillon des pensées, des craintes, des espoirs fous, des terreurs, des regrets, des projets, des détresses dans le cerveau du condamné conduit à l'échafaud ?
Ce martyre de quelques minutes, multipliez-le par des heures, multipliez-le par des jours, et vous aurez une idée de ce que fut la vie des défenseurs de Douaumont sous cette artillerie saisie de delirium tremens.
Au-dessus de nous, à 200 mètres au plus, deux avions ennemis passent et repassent, observant le terrain tout à leur aise.
Mais nous "faisons les morts" couchés pêle-mêle, au fond de la tranchée, par-dessus les morts véritables, les bras étendus, la bouche ouverte, afin de donner aux observateurs l'illusion que tous les défenseurs du village sont tués, que toutes nos défenses ne sont plus qu'un vaste cimetière. "


Photo aérienne prise à 100 mètres d'altitude. Remarquer les nombreux éclatements en
l'espace d'un instantané photographique.

 

Témoignage de Frédéric GERMAIN, caporal au 146e R.I. :

" Combien de temps dura ce bombardement en bas de la côte du Poivre ? Pour moi, il dura des années. Nous étions isolés ; plus de liaison ni de ravitaillement puisque tout autour de nous était bouleversé, la terre retournée, les arbres pulvérisés.
Il y avait plus qu'à attendre la mort que l'on jugeait inévitable dans cette atmosphère de feu. Quand un instant d'accalmie nous permettait de pouvoir nous entendre, nous nous appelions de trou en trou, mais, hélas, combien ne répondaient pas ! "

Journée du 6 mars 1916, attaque allemande sur les deux rives. Témoignage de Léon GESTAS, sergent au 70e R.I.T. :

" Au bois des Corbeaux, au début de mars, ça tombait de tous les côtés, on était tué sans même savoir d'où le coup était parti. Le bruit avait couru parmi nos hommes que le bombardement allemand durerait 100 heures et tous attendaient, avec une impatience mêlée d'anxiété, la fin de ces 100 heures. Mais les 100 heures passèrent et le bombardement, loin de diminuer, continuait toujours. Il devait continuer toute l'année. "

Journée du 10 mai 1916, lutte pour le Mort-Homme. Témoignage du lieutenant ARMEILLA du 17e D.I. :

" Les Boches viennent de déclencher une attaque sur la cote 304 et le Mort-Homme. Je n'ai jamais vu pareille avalanche de projectiles ; la fumée s'élève à des hauteurs incalculables et forme un rideau tellement épais que le soleil ne le traverse pas. "

 

Journée du 25 février 1916, prise du fort de Douaumont par les Allemands. Témoignage de l'aspirant BOURDILLAT, sous-lieutenant au 2e B.C.P :

" D'une minute à l'autre, dans notre tranchée, le déluge de fer s'accentue. Les arbres sont fauchés, la terre vole de toutes parts. Une âcre fumée prend à la gorge. A chaque rafale qui passe, le corps se resserre, les nerfs se contractent, et la respiration se fait plus courte, plus saccadée… A côté de moi, le lieutenant Fleury se lève : "Bourdillat me dit-il, je vais voir ce qui se passe ; j'ai tellement les nerfs à bout que je préfère remuer. "C'est d'une imprudence inouïe !… "Ne quittez pas votre trou, mon lieutenant, lui dis-je, les obus nous rasent de si près que c'est folie. " "Tant pis, me répond-il, je préfère marcher un peu…" Il est à peine sur le rebord de la tranchée qu'un éclat d'obus lui arrache la tête… Je regarde stupidement le morceau de mâchoire inférieure qui reste seul attaché au corps, tandis que son cou béant déverse dans la tranchée un mélange de sang, de moelle… C'est quelque chose d'affreux… "

Juin 1916, prise du fort de Vaux par les Allemands. Témoignage du soldat Jules SERGENT :

" En ces terribles jours de juin, l'artillerie ennemie répondait coup pour coup à la nôtre et envoyait des 210, comme nous nous envoyons des 75. Ce fut le plus formidable duel d'artillerie que j'ai pu voir.
Partout, il y avait des blessés, des morts, des morceaux de chair humaine épars. Nous n'avions jamais rien vu de pareil. Un capitaine de chasseurs qui était devenu fou dans cet enfer cherchait la moindre petite touffe d'herbe qu'il pouvait découvrir pour la peigner avec un peigne de poche qu'il avait sur lui. "


Journées du 12 au 16 août 1916, nouvelle attaque allemande sur le fort de Souville. Témoignage de Marcel PIC, soldat au 143e R.I. : (Pour les journées du 14 et du 15 août, "rien à signaler", du moins dans les documents officiels.)

" Pendant 5 jours et 5 nuits, et surtout le 14 et 15, ce fut un enfer terrible de bombardement ; nous étions écrasés par les obus. Personne ne bougeait ; on attendait la mort, avec la soif, la faim, et 10 centimètres d'épaisseur de mouches que nous avions dessus.
Nous avions assez de travail, avec le bout de la baïonnette, pour rejeter les morceaux de cadavres qui nous recouvraient chaque fois qu'un obus tombait tout près. "

 

Journée du 18 juillet 1916, contre-offensive française pour dégager Souville et reprendre Fleury. Témoignage de Marcel RAINE, soldat au 115e R.I. :

" Nous sommes en ligne vers Froideterre. Le pauvre Leduc, un vieux de la classe 1901 ou 1902, se met à errer dans la plaine, complètement fou de peur. Le capitaine a eu pitié de lui. Leduc avait des enfants et il n'a pas voulu le punir, car c'eût été trop grave… "

Journée du 15 juillet 1916, contre-offensive française pour dégager Souville et reprendre Fleury. Témoignage de G. MARYBRASSE, soldat au 115e R.I. :

" Nous sommes dans une longue tranchée, pleine de morts ; une odeur affreuse monte de l'immense charnier. Soudain, le barrage boche se déclenche. Je vois des camarades, les yeux agrandis par l'épouvante, regarder vers le ciel, frappés de stupeur : Je regarde à mon tour, et je vois, retombant d'au moins 20 mètres, une pauvre chose inerte, bras et jambes ballantes, comme un pantin sans articulations qu'on aurait jeté d'un avion, d'un ballon. C'est un camarade qui a été soulevé comme une plume par le déplacement d'air d'un obus.
Quelques minutes plus tard, un obus éclate si près de moi (1,50 m à peine) que je vois très nettement une boule de feu. Par miracle, je ne suis que légèrement blessé, et je vais dans un petit gourbi, à flanc de ravin pour y attendre la relève. Je partage l'étroit abri avec un autre blessé. Avec quelle joie je savoure la possibilité de pouvoir m'étendre enfin, chose inespérée depuis onze jours ! Mon camarade sur le dos, moi sur le côté, nous nous endormons. Tout à coup, un tir de barrage éclate tout près et un obus tombe juste au-dessus de nous, nous ensevelissant. Alors pour nous, le bombardement devient lointain, lointain… je me rends compte du tragique de la situation ; si personne ne vient à notre secours, nous sommes perdus. Le malheureux qui partage ma tombe est étouffé par la terre ; trois fois de suite, je l'entends faire rronn, rronn, rronn, puis c'est tout ; je devine qu'il est mort ; il n'a pas souffert longtemps.
De tous mes efforts, j'essaie de me soulever, mais trois mètres de terre nous retiennent prisonniers ; par une habitude heureuse que j'avais toujours au front, j'ai toujours sur la tête mon casque avec jugulaire au menton ; la visière avant retient la terre et l'empêche de m'obstruer la bouche. La tête rabattue sur la poitrine, respirant à peine, je garde néanmoins toute ma lucidité. Je me rends parfaitement compte que tout sera bientôt fini ; alors, comme un film de cinéma, toutes sortes de souvenirs se présentent à ma mémoire, mais surtout, je pense à ma mère, à la peine qui sera la sienne lorsqu'elle saura tout ; puis j'entrevois mon père et mon frère décédés que je vais revoir, mes frères et ma sœur qui pleureront aussi à cause de moi ; alors, avec calme, avec toute ma connaissance, du plus profond de mon cœur, je fais mon acte de contrition, demandant à Dieu d'abréger au plus tôt mon martyre ; puis, des minutes s'écoulent, qui n'étaient peut-être que des secondes, mais qui m'ont paru des heures interminables. Je sens que ma tête bourdonne ; des bruits de cloches semblent sonner très fort, puis plus rien. De nouveau, je reprends connaissance, et à ce moment, je me souviens m'être fait cette réflexion : "Ce n'est pas si dur de mourir…"
Combien de temps suis-je resté ici ? c'est flou, mais assez longtemps, au moins 25 minutes, je l'ai su après. Au déclenchement du barrage, tous les camarades se sont sauvés ; quand cela s'est calmé, ils reviennent. C'est alors que le sergent Sèle s'inquiète de moi. Sèle est un camarade qui a fait notre admiration pendant les journées de Verdun par son courage et son sang-froid. "Où est Marybrasse ?" demande-t-il. C'est alors qu'il s'aperçoit de l'éboulement ; il m'appelle : "Marybrasse, Marybrasse, es-tu là ? " Comme dans un rêve, je l'entends vaguement et ne puis répondre. Persuadé que je suis dessous, il ordonne à quelques hommes de piocher rapidement. J'entends des coups lointains qui se rapprochent ; je me dis : "Ils n'arriveront pas jusqu'à moi…" Enfin, j'entends plus distinctement les coups, j'entends même que l'on parle. Sèle dit à ses hommes : "Attention maintenant. "Je sens une main sur mon casque : "J'en tiens un ! "s'écrie Sèle, et alors, de ses mains, il me dégage vivement la tête.
Comment dire ce que j'ai ressenti à ce moment ? Retrouver la vie au moment où je croyais bien la perdre, sentir l'air pur de la nuit… Tout cela m'a ranimé, je me sens sauvé, je pleure de joie. Je remercie mon sauveur, nous nous embrassons. "

 

Journée du 10 juillet 1916, lutte autour de l'ouvrage de Thiaumont. Témoignage du commandant, puis colonel ROMAN du 358e R.I. :

" A l'entrée de mon abri, le sol est tellement bouleversé et broyé qu'il semble une dune de sable mouvementée. A mon arrivée, un cadavre de fantassin en capote bleue émerge à demi de ce mélange de terre, de pierres et de débris innommables. Mais quelques heures après, ce n'est plus le même, il a disparu et fait place à un tirailleur en kaki. Et successivement défilent d'autres cadavres et d'autres uniformes. L'obus qui enterre le précédent en fait apparaître un autre ; on s'habitue pourtant à cette vision ; on supporte l'odeur épouvantable de ce charnier dans lequel on vit, mais la joie de vivre, après la guerre, en sera éternellement empoisonnée. "

Journée du 21 février 1916, attaque allemande sur la rive droite. Témoignage du général PASSAGA :

" L'ébranlement produit par le tir d'artillerie allemand est tel qu'il se propage à plus de 150 kilomètres au sud de Verdun. Dans les Vosges, près du lac Noir, où se trouve alors mon poste de commandement, je perçois nettement par le sol de mon abri un roulement de tambour incessant, ponctué de rapides coups de grosse caisse. "

Journée du 21 juin 1916, lutte pour l'ouvrage de Thiaumont. Témoignage d'Emile HUET, mitrailleur au 54e R.I. :

" Le 21 juin, en montant à l'attaque, j'ai vu des choses horribles ; des hommes d'un régiment qui était sur notre gauche, au nombre d'une compagnie environ, se trouvaient dans un bout de tranchée qui avait été épargné. Au moment où nous passions, le bombardement était épouvantable. Le tir de barrage est tombé juste sur cette tranchée et a recouvert tous les hommes qui étaient dedans. On pouvait voir la terre se soulever par l'effort de tous ces malheureux. J'ai toujours cette vision devant les yeux. "