Les erreurs de l'artillerie française…

Témoignage du major RIBELAY du 58e R.A.C. :

" Le capitaine Tabourot, ce héros magnifique dont on ne peut écrire le nom qu'avec un frémissement de respect, a eu avant de mourir une parole atroce. Sitôt l'attaque allemande déclenchée, il avait demandé à plusieurs reprises notre tir de barrage. Pris de colère devant le silence de notre artillerie, qui avait permis l'encerclement du fort de Vaux et allait rendre inutiles tout ce courage dépensé par ses hommes et toutes ces morts, il s'écria en tombant frappé à mort lui-même : " Ecoutez bien mon dernier ordre, vous là ! Ceux d'entre vous qui pourront s'échapper, qu'ils aillent casser la gueule aux artilleurs ! " Venant d'un tel homme, de tels propos ne peuvent être passés sous silence. Ils appellent des commentaires.
Nous avons eu l'occasion de relever des erreurs et des fautes de notre artillerie.
Le 1er juin, nos 75 ont à plusieurs reprises tiré sur nos propres tranchées. C'était là un accident presque fatal en cette bataille de Verdun où l'on demandait au matériel le même surmenage qu'aux hommes, mais cet accident n'est excusable que s'il demeure un accident et ne tend pas à devenir une règle.
Le 2 juin, à de nombreuses reprises, "l'accident" se reproduit. Il se reproduira encore le 3 juin, puis le 4, puis chaque jour, peut-on dire en ce début de juin. Mais la journée du 2 juin mérite un examen spécial car c'est au cours de cette journée que se sont accumulés accidents et erreurs d'une façon quasi systématique.

Quelques traits du tableau d'ensemble :

" Un officier du 53e arrive à la redoute avec une horrible blessure. Un éclat très large lui a labouré latéralement toute la face avant du corps. Le front est ensanglanté, la bouche dégoutte de sang. Les bras, les mains, la poitrine, les jambes, tout ne paraît qu'une plaie. Il est hagard, fou de colère contre l 'artillerie. Une compagnie de 90 hommes en a perdu 40 en quelques minutes. Six mitrailleuses ont été démolies et leurs servants tués. Et le tir continue toujours. Il a lancé plus de 100 fusées vertes sans résultat. Il n'y a rien à faire qu'à se terrer contre notre propre tir. "
(D'après un récit du sous-lieutenant G. HUGUENIN du 142e R.I.)

Enfin, les 75 se décident à allonger leur tir, mais ils l'allongent tellement que nos obus vont frapper les objectifs anciens, bien en arrière des nouvelles lignes allemandes. Ce sont des munitions gaspillées.
Il y a plus grave encore.
Le tableau de tir, sur ce point du front, le 2 juin, se lit de la façon suivante :
A - Barrages à 0 h 45, à 1 h 45 et à 2 h 15.
B - Barrages en avant du fort à 2 h 45, à 3 h 15, à 3 h 45 et à 4 h.
C - Entre 4 h et 10 h 45, 2 tirs de barrage, l'un à 7 h 30 et l'autre à 9 h.
D - De 11 h à 17 h 40, silence. A 17 h 40, reprise de la cadence de tir.

Reprenons les divers points de ce tableau :
A - Les barrages ont permis, avec leurs longs intervalles, tous les préparatifs de l'attaque allemande ; pourtant cette attaque n'était nullement imprévue puisqu'elle avait été précédée d'un tir de préparation de 20 heures.
B - Les barrages après l'attaque sont demeurés sans effet pour la défense du fort puisqu'ils sont tombés au-delà des tranchées que venaient d'occuper les Allemands.
C - Deux tirs de barrage seulement entre 4 heures et 10 h 45, c'est une plaisanterie hors de propos, après une attaque comme celle que vient de subir le fort. L'ennemi a eu ainsi tout loisir pour approfondir et creuser la tranchée qu'il nous avait enlevée.
" Du fort, impuissant, la rage au cœur, nous regardions les travailleurs ennemis qui, profitant de cette tranquillité, se promenaient à découvert, fumaient tranquillement la pipe sur les parapets et faisaient même des gestes pour nous narguer. "
(D'après un récit du sergent Henri MATHIEU du 142e R.I.)

D - Quant au silence entre 11 heures et 17 h 40, il défie tout commentaire. "

Témoignage de Frédéric BAYON, soldat au 126e R.I. :

" Ce jour néfaste d'avril, ce fut notre artillerie qui se chargea de nous "sonner" et avec du 155 encore, cela pendant plus d'une heure : tantôt quelques mètres en arrière de notre tranchée, tantôt en avant la terre nous retombant dessus en pluie, les éclats froufroutant et se fichant tout brûlants dans nos parapets, frappant même les couvertures roulées sur mon sac que j'avais posé sur ma tête pour laisser passer l'averse ; et, plus ça tombait près, plus j'entendais rire aux éclats les Boches dont les tranchées n'étaient pas à 20 mètres des nôtres.
Sans discontinuer, les fusées rouges montaient, demandant l'allongement du tir, cependant que notre colonel s'arrachait les cheveux dans son P.C. en criant : "Les salauds ! Ils tirent sur mon régiment…""

Journée du 19 mai 1916, lutte pour le ravin de la Dame. Témoignage de L. LAURENT, caporal au 7/51 Génie :

" La nuit, sous les étoiles, de nos premières lignes au font du ravin, montent des fusées rouges : "Allongez le tir ! Allongez le tir !"crient nos pauvres camarades. Et d'autres appels s'élèvent de tous côtés. Fusées rouges sur le plateau d'Hardaumont !… Fusées rouges du fort de Vaux. Fusées rouges, là-bas au loin, derrière Fumin ! Que d'appels désespérés sur cette terre sombre ! "

Témoignage du Commandant, puis colonel ROMAN du 358e R.I. :

" L'artillerie allemande a une puissance formidable ; son artillerie lourde est incomparable ; sa précision surtout est aussi parfaite que possible. Il en est tout autrement de son artillerie de campagne qui semble-t-il, n'a pas encore fait de progrès.

Chez nous, c'est l'inverse, et c'est plus triste. Pendant plus d'un an de séjour en Lorraine, j'avais entendu la même rengaine : "C'est vrai, il n'y a pas d'artillerie lourde ici, parce que c'est un front peu important, mais si vous voyiez ailleurs !"Ailleurs ? Sans doute à Verdun, par conséquent, car si le front présente un point capital, c'est bien Verdun. Eh bien ! non, c'était encore un bluff. L'artillerie de campagne à Verdun est formidable, fantastique, "roue à roue", elle fait une besogne admirable, mais la lourde ?… Il n'y en a pour ainsi dire pas et quand il y en a, c'est pis. Elle ne règle rien, ne vérifie rien, tire sur nous et s'entête !…
Voici un fait précis. Mes tranchées me signalent : Artillerie de 155 tire trop court. Si court, en effet, qu'à intervalles réguliers, un obus de 155 tombe en plein sur mon abri qui est à environ 250 mètres derrière ma première ligne. Je rends compte par coureur, car je n'ai pas d'autre liaison possible. Pas de changement. Je rends compte une deuxième, une troisième, une quatrième fois, en numérotant mes comptes rendus : rien n'y fait ; on me sert régulièrement mes obus de 155.
Mais le lendemain, la réponse de la division m'arrive sous forme de note à communiquer à tout le monde. Cette note dit en substance : "C'est à tort que l'infanterie se plaint de recevoir des obus trop courts de notre artillerie ; c'est inexact. On devrait réfléchir avant de propager de pareilles accusations. On oublie que l'ennemi lui-même a des canons et des obus de 155 qu'il nous a pris ; ce sont ces obus qu'on prend par erreur pour les nôtres."
A ceux qui se récrieront et ne pourront croire ce que j'écris ici, j'affirme sur l'honneur que je n'exagère pas. Voilà la réponse qu'on fait aux comptes rendus successifs et pressants d'un chef de bataillon !
Je réponds : "je considère la note que je viens de recevoir comme une insulte personnelle ; que c'est en effet m'insulter que de me supposer capable, après deux ans de guerre, de me tromper aussi grossièrement sur la direction des obus que je reçois.""

Journées du 12 au 15 août l916, nouvelle attaque allemande sur le fort de Souville. Témoignage de A. BARON, caporal au 70e R.I. :

" Du 12 au 15 août, tous les jours, bombardements violents, et tous les jours, nos canons tirent trop court.
Nous protestons. Un sous-lieutenant d'artillerie vient nous dire qu'il ne comprend pas que nous nous plaignions du tir de l'artillerie française. Nous lui montrons simplement un obus de chez nous tombé à proximité et qui n'a pas éclaté. Il est parti sans en demander davantage. "