Les compresses et les masques de protection contre les gaz :

Le 22 avril 1915, dans le secteur de Langemark, près d'Ypres en Belgique, les Allemands lancent la première attaque chimique de l'histoire, violant ainsi le traité de la Haye de 1907 interdisant l'usage des gaz à des fins civiles et militaires. 150 tonnes de chlore à l'état liquide, dans des cylindres en acier pressurisés, sont libérés et portés par le vent vers les positions françaises. On parle de "la première opération par vague gazeuse dérivante".
Dans les tranchées françaises, c'est la débandade, rien n'a été prévu contre la guerre chimique. Les hommes hurlent de douleur, asphyxiés, aveuglés, , crachant du sang. Ils font des efforts désespérés pour retrouver leur souffle, en refluant vers les secondes lignes, poursuivis par la nappe de gaz. Avant de mourir, certains lacérent leurs vêtements, dans une expression monstrueuse, les pupilles exorbitées et striées de sang.

Aussitôt, les pharmaciens militaires Didier et Launoy sont envoyés sur le lieu de l'attaque. En à peine 3 jours, ils identifient la nature du gaz utilisé, du chlore à l'état liquide ainsi que la solution pouvant le neutraliser, grâce à une protection allemande encore humide retrouvée sur le champ de bataille

Le 25 avril, le ministère de la guerre décide de copier immédiatement la protection allemande et passe commande de 1.125.000 unités livrables dans les plus brefs délais.

Voir l'évolution des gaz de combats durant la première guerre mondiale dans la partie "Thème", "La guerre chimique".


 

Les baillons :

Le modèle français copié du modèle allemand mesure 8 cm sur 12. Il est constitué d'une enveloppe de toile ou de gaze cirée rempli de gaze, de ouate ou de déchets de coton. On le maintient sur le visage à l'aide de 4 lanières de tissus à chaque extrémité que l'on noue derrière la tête. Il est imprégné au niveau du nez et de la bouche d'une solution d'hyposulfite, copiée sur celle utilisée par les Allemands.

Très vite, ce modèle s'avère très peu efficace contre les gaz. Trop petit, il ne couvre pas suffisamment les voies respiratoires et la durée de protection n'est pas assez longue. La matière intérieure n'absorbe pas assez de liquide neutralisant.

 

 

Les lunettes :

Parallèlement à cette protection des voies respiratoires, il est rapidement mis en évidence que les yeux doivent également être protégés. 500 000 paires de lunettes sont commandées et les premières sont livrées le 20 avril 1915.

Les tout premiers modèles de lunettes

De mauvaise qualité, non étanches et s'ajustant mal au visages, elles sont bien souvent complètement inefficaces.

Des modifications sont apportées pour tenter de les rendre le plus possible étanches.
Elles vont tout abord être conçues avec un tissu caoutchouté.
Leur surface va s'agrandir pour se plaquer plus facilement sur le visage (type DMCG en août 1915).
Les œilletons vont avoir une armature en métal (septembre 1915).
Elles vont être doublées d'un molleton et munies d'une sangle élastique pour être mises plus rapidement (type Meyrowitz fin 1915).


Lunettes modèle août 1915

Lunettes modèle septembre 1915

Lunettes Meyrowitz

 

Les cagoules :

Les Anglais ont développé de leur côté une cagoule expérimentale qui semble donner de bons résultats.
L'armée française étudie le procédé et décide d'en produire en plus des baillons.

Un prototype est vite mis au point. C'est un simple sac de toile percé d'une ouverture horizontale au niveau des yeux. Cette ouverture est munie d'une plaque transparente.
Assez large pour pouvoir se mettre par dessus le képi, elle se ferme hermétiquement en se glissant sous le col de la capote que l'on boutonne par dessus.
Avant utilisation, elle doit être plongée entièrement dans une solution d'hyposulfite ce qui demande une grande quantité de produit. La respiration se fait à travers le tissus.

 

Le 21 mai 1915, 48 000 exemplaires sont envoyés aux armées pour test.
Ce nouveaux type de protection est bien apprécié par les hommes pour sa facilité d'utilisation. D
ébut juin, 2 millions de cagoules sont commandées pour approvisionnement général.

En réalité, la protection qu'offre les cagoules est bien inférieure à celle des baillons. Elle est de 10 minutes pour un homme au repos.
De plus, l'air qui est confiné à l'intérieur de la cagoule se charge rapidement en dioxyde de carbone ce qui rend la respiration difficile.
Avec les nouveaux gaz produits par les Allemands, les substances à base de Brome nottament, la cagoule est peu à peu abandonnée.

 

 

Les compresses :

Le 27 mai, le GQG décide d'apporter des modifications au baillon.
Sa taille est portée à 13 cm par 25 et la matière absorbante est remplacée par de l'étoupe. La durée de protection passe ainsi à 30 minutes.
Ce nouveau modèle qui s'appelle dorénavant "compresse" est aussitôt produit en grande quantité. Il commence à être distribué à partir de mi-juin 1915. Il se range dans un sachet protecteur en tissu imperméable : toile huilée, cirée, caoutchoutée, qui se ferme par un bouton et se porte à la poitrine, fixé à un bouton de la capote.

 

Cependant, cette précipitation dans sa mise en œuvre fait apparaître rapidement de nouveaux défauts. Son systéme d'attache qui est identique au modèle précédant s'avère trop fragile. Les lanières se déchirent facilement lorsqu'on tire dessus, chose assez fréquente quand les soldats s'équipent en urgence, la nappe de gaz arrivant sur eux.

Fin juin, ce système d'attache est modifié par 2 rubans de la largeur de la compresse. De plus, pour que la compresse épouse un peu mieux la forme du nez, un fil de fer souple est introduit dans la partie supérieur.

Le 18 août, elle est livrée dans un nouveau sachet de protection plus grand et qui contient 2 compartiments permettant de ranger à la fois la compresse et les lunettes.

Le sachet de compresse et les lunettes de protection

En ce milieu d'année 1915, on peut dire que le soldat français est très mal équipé pour résister aux attaques au gaz de l'ennemi. Et cela, malgré les efforts du GQG pour améliorer les protections.
Les gaz sont la terreur des hommes et beaucoup, bien qu'en possession de matériels en bon état, sont intoxiqués pour n'être pas parvenu, dans la panique, à s'équiper correctement.

A la fin de juillet 1915, une nouvelle solution neutralisante est mise au point pour contrer les nouveaux gaz lacrymogènes utilisés par les Allemands.

 

 

Le tampon P2 et le sachet S2 :

A la fin du mois d'août 1915, un nouveau tampon appelé "tampon P2" est mis en activité. Il se présente sous la forme d'une enveloppe en tissu dans laquelle, on place les compresses imprégnées de produit neutralisant. La diversité des gaz oblige en effet à superposer plusieurs compresses imbibées de solutions neutralisantes différentes, si l'on veut une protection complète et efficasse selon le gaz que l'on reçoit (les suffocants, les dérivés cyanés, les lacrymogènes). Le tampon se noue derrière la tête par 2 bandes de tissu. Une paires de lunettes est toujours obligatoire et portée parallèlement au tampon.
3 type de compresses C1, C2 et C3 vont successivement être distribuées pour améliorer la protection.

Au total, se sont 4 500 000 exemplaires qui sont distribués entre fin août et fin octobre.

Parallèlement au tampon P2, une nouvelle pochette est conçue en toile imperméable de couleur bleue horizon. Elle est appelée " Sachet S2 pour tampon P2 ". Ce sachet est constitué de 2 compartiments, un pour le tampon P2 et un pour les lunettes. Le tout est fermé par 2 boutons.
Ce nouveau sachet doit théoriquement être porté au ceinturon, pour cela, il est muni en ses 2 angles supérieurs, de 2 passants en tresse. Cependant, il sera très rarement porté de la sorte, les soldats préféreront l'attacher aux 2 boutons des poches poitrine de la capote, soit directement épingler les passants au niveau de la poitrine. Une ficelle sera quelques fois ajoutée pour le porter en sautoir.


Le tampon P2

2 modèles diffétents de sachet S2

 

Le 6 décembre, une cagoule formée sur la base d'un tampon P2 sera temporairement mise en service. Elle permet une application plus simple sur le visage et supprime l'utilisation de lunettes.
Cette cagoule reste moins efficace que le tampon T récemment distribué mais qui n'a pas encore été livré à toutes les unités en ligne. Le tampon P2 puis la cagoule qui en est dérivée sont finalement totalement remplacés par les tampons T et TN.

 

 

Le tampon T :

Le 3 novembre 1915, le tampon T est adopté et vient remplacer le tampo P2 et la cagoule qui en est dérivée. Fin novembre, 100 000 exemplaires sont envoyés aux armées.

A l'étude depuis août 1915, ce masque a l'avantage de s'appliquer très facilement, d'être étanche et de permettre à son utilisateur de parler.
De récentes études ont montré que de nombreux intoxiqués l'avaient été à cause de la difficulté et du temps nécessaire à installer leur masque. Ensuite, une fois le masque en place et l'homme en mouvement, de la difficulté à le garder en position. Enfin, de la nécessité pour les officiers, de le soulever pour donner leurs ordres.

Ce nouveau modèle se présente sous la forme d'une enveloppe en tissu triangulaire que l'on se place sur le visage. Son système d'attaque consiste en une sangle élastique qui passe au dessus de la tête et une seconde qui passe derrière. 2 sangles de tissu se nouent également derrière la nuque.
Il est livré avec 3 compresses humidifiées de solution neutralisante.


Le tampon T, une housse de rangement modèle M2 et une paire de lunettes Meyrowitz

Le tampon T

 

 

Le tampon TN :

Le 16 novembre 1915, une nouvelle formule neutralisante beaucoup plus efficace que les précédentes est mise au point. Il est urgent qu'un nouveau masque puisse intégrer cette nouveauté.


En décembre 1915, le tampon T est modifié pour donner le tampon TN.
Le nombre de compresses est ramené à 2 mais une est humidifiée de la nouvelle solution neutralisante. Les 2 bandes qui se nouent derrière la nuque sont remplacées par un lacet extensible, ce qui permet une fixation encore plus rapide et plus sûre.
Il permet une protection satisfaisante pendant 3 heures.

Le tampon TN

Il commence à être distribué le 1er janvier 1916. Il est livré dans un étui triangulaire en tissu qui peut se porter au ceinturon. Il protége le masque des intempéries et permet surtout aux compresses de ne pas perdre trop rapidement leur pouvoir neutralisant.
S'il doit en principe être confectionné en tissu caoutchouté, l'étui est souvent en tissu ordinaire par manque de matière première.
Cependant, cet étui ne permet pas de ranger les lunettes et le tampon TN sera souvent rangé (avec la paire de lunettes) dans l'étui de l'ancien tampon P2, ce dernier faisant office de masque de secours.


Le tampon TN, son étui réglementaire et une paire de lunettes modèle septembre 1916

 

Très vite, des boîtes en tôle peintes en bleu clair commencent a être distribuées aux troupes pour ranger le tampon. Les premiers exemplaires réalisés se caractérisent par leur section en ovale aplati. Cette nouveauté est rendue nécessaire car trop de tampons sont endommagés par des chocs répétés.

 

 

Le masque M2 :

Parallèlement a l'apparition du tampon TN, un nouveau masque voit le jour le 6 décembre 1915.
Le masque M2 est un masque complet qui recouvre le visage en totalité, ce qui améliore grandement le temps de pose. La surface filtrante est ètendue sur la totalité du masque.
Il est composé de 2 pièces de gaze qui sont imprégnées et cousues ensemble. La première partie recouvre le visage en entier alors que la seconde forme une cavité qui englobe le menton et les joues. La vision est assurée par une vitre en plastique rectangulaire.
Il est maintenu sur le visage grâce à 2 sangles élastiques, une 3e permet de porter le masque autour du cou en position d'attente.

Dés le début des tests, un problème est constaté. Bien que le masque possède une housse de rangement en tissu, il est préconisé qu'il soit rangé dans les mêmes boîtes métalliques que le tampon TN. Cependant, pour y entrer convenablement, le masque doit être plié en 2 en sa ligne médiane. Cette opération est délicate lorsque le masque vient d'être utilisé et il est constaté que cette pliure répétée endommage la vitre rectangulaire de vision.

2 améliorations sont apportées pour résoudre ce problème.
Tout abord, le 24 janvier 1916, la vitre de vision est remplacée par 2 oeilletons identiques à ceux utilisés dans la fabrication des lunettes.
Plus tard, a partir du printemps 1916, les boîtes métalliques de rangement obtiennent une section rectangulaire et non plus ovale, permettant une plus grande contenance.

Le masque M2 et sa housse de protection en tissu

La boite recouvert de vieux tissu BH pour assourdir le bruit des chocs la nuit

Housse de protection pour officier (en cuir)

La boite métallique de protection 2e modèle

 

Le 2 mars 1916, il commence à être livré à raison de 50 000 unités. En fin d'année 1916, de le proposer en 3 tailles.

Le masque M2 s'avére le plus efficace parmi tous ceux en service chez les belligérants, offrant une protection de 4h30 dans une concentration de chlore élevée, restant en 1916 la forme la plus redoutable d'utilisation des substances toxiques.

Vers le milieu de l'année 1917, son efficacité commence à être remise en question par l'apparition de nouveaux gaz plus agressifs, les irritants sternutatoires. Du début de l'année 1916 au 11 novembre 1918, sa production aura approché les 29 300 000 exemplaires.

 

 

les masques TNH et LTN :

Avec l'apparition du masque M2, les tampons TN sont transformés en masque complet. Ceci pour éviter de jeter les 6 800 000 tampons TN distribués en janvier 1916. Le masque TNH est produit à 510 000 exemplaires et il est livré aux armées à partir du 20 avril 1916. Cependant, il ne donne pas satisfaction quand à sa mise en place sur le visage, il est vrai que les hommes ont en comparaison l'excellent masque M2.

Une tentative d'amélioration est tout de même tentée par l'ajout d'une sangle supplémentaire derrière la tête, ce qui donne le masque LTN, produit à 100 000 exemplaires. Cependant, le masque M2 à déjà fait ses preuves et ses 2 modèles sont abandonnés.

Le masque TNH

 

 

Le masque MCG (Matériel Chimique de Guerre), baptisé ARS (Appareil Respiratoire Spécial) :

Le 3 août 1916, un nouveau modèle de masque mis à l'étude. Le 20 janvier 1917, il est adopté. Cependant, sa mise en œuvre industrielle va être assez longue et ce n'est qu'en février 1918 qu'il commence à être distribué aux armées. En avril, tous les combattants de première ligne sont équipés.

Beaucoup mieux appliqué sur le visage, l'ARS est incontestablement la meilleur protection contre les gaz. Il n'est en fait qu'une amélioration du nouveau modèle allemand. Il est constitué de 2 tissus imperméables superposés et muni de 2 oculaires similaires au masque M2. La respiration se fait au travers d'une cartouche vissée sur l'embase métallique du masque hermétiquement ligaturées. L'air inspirée traverse la cartouche filtrante composé de charbon actif, l'air expirée ressort au moyen d'une soupape empêchant l'air extérieur de pénétrer dans le masque. Cet ingénieux système permet une respiration plus facile, évite la formation de buée sur les oculaires et de vapeur d'eau dans la cartouche. Ce masque permet de tripler les durées de protection.

Il est livré dans une boite cylindrique en tôle cannelé de couleur kaki, offrant une meilleure protection contre les chocs.

L'ancien masque à gaz modèle M2 est relégué à la fonction de masque de secours et toujours porté dans sa housse en tissu ou sa boite métallique rectangulaire repeinte en kaki.

5 270 000 exemplaires vont voir le jour avant l'armistice et la production continuera après la guerre.

Le masque ARS et sa boite de rangement